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février
2005 Notes
et présentation par Jean-Paul Baquiast
Traité
d'athéologie
Traité
d'athéologie
par
Michel Onfray
Grasset
2005
Michel
Onfray, né en 1959, est philosophe et écrivain.
Il a produit une trentaine de livres, dans lesquels il formule
des projets: hédoniste éthique (La sculpture
de soi, Prix Médicis 1993), politique (Politique du
rebelle, 1997), érotique (Théorie du corps amoureux,
2000), pédagogique (l'antimanuel de philosophie, 2001),
épistémologique (Fééries anatomiques,
2003), esthétique (Archéologie du présent,
2003).
Il a fondé l'Université
populaire de l'Université de Caen, où divers
bénévoles dispensent gratuitement des enseignements
sur toutes matières souhaitées par le public.
A
propos du "Traité d'athéologie"
de Michel Onfray
L'athéisme et la science
Nous
voudrions dans cet article, non seulement présenter le dernier
ouvrage de Michel Onfray, "Traité d'athéologie",
dont nous recommandons la lecture à tous, athées et
non-athées, mais aussi évoquer un thème qui
n'est qu'effleuré dans cet ouvrage et qui préoccupe
certains de nos lecteurs, si nous en croyons notre courrier: la
démarche scientifique implique-t-elle l'athéisme?
On sait bien que beaucoup de scientifiques s'affirment croyants,
mais comment concilient-ils cette position avec le matérialisme
qui semble indissociable de toute étude scientifique du monde
?
Pour
l'athéologie
Michel Onfray est un philosophe et un agitateur d'idées dont
les mérites sont très grands, à une époque
où reviennent en force les fondamentalismes religieux. Son
premier mérite, à nos yeux, est d'être athée
et d'être heureux de l'être. Il se présente,
dans un milieu intellectuel et à une époque où
nul n'ose plus maintenant contredire les religions, comme un prosélyte
ardent de l'athéisme. Pour lui l'athéisme n'est pas
la position de repli d'un homme déçu ou rejeté
par les religions. L'athéisme est la façon la plus
haute de revendiquer le droit de l'individu à penser par
lui-même, en tentant de s'affranchir des représentations
et des règles de vie qu'il n'aura pas passées au crible
de sa raison. L'athéisme est vraiment, à le lire,
la seule philosophie capable d'aborder de façon pleinement
humaniste les problèmes nés de l'évolution
du monde moderne. Il faut donc l'étudier de façon
sérieuse, en faire l'objet d'un discours et d'une science
qui n'osent pas encore s'affirmer pleinement, tellement sont pesantes
les adhérences de la pensée mystique. Il souhaite
pour cela fonder ce qu'il nomme l'athéologie. A cette fin,
il veut étudier non seulement l'origine et les développements
de l'athéisme au cours de l'histoire des idées, mais
aussi, avant cela, celles des innombrables formes de croyances religieuses.
Là, on le devine, la tâche est immense. Les oeuvres
plus ou moins scientifiques sont nombreuses. Mais les études
véritablement dégagées de la crainte révérencielle
que suscite toute apparence de critique sont rares, et Michel Onfray
n'hésite pas à rappeler dans ce livre quelques faits
volontairement ou inconsciemment ignorés par les historiographes
des religions.
Le
second grand mérite de Michel Onfray est de ne pas s'enfermer
dans l'hermétisme d'un langage philosophique tel qu'il se
pratique encore dans beaucoup d'universités françaises.
Sa culture est vaste. Il suffit de lire la liste de ses publications
pour s'en convaincre. Mais il a très tôt voulu la faire
partager par ceux qui n'ont pas eu la chance de faire des études
supérieures ou le temps d'approfondir les questions difficiles.
Ses ouvrages, articles et causeries ne s'enferment pas dans l'hermétisme,
même s'ils portent sur des sujets réputés aussi
ésotériques que l'histoire des philosophies et des
croyances. Ils sont lisibles par tous. Son Traité d'athéologie,
que nous présentons ici, loin d'être un aride traité,
comme son titre pourrait le laisser penser, se lit comme un roman.
De plus, Michel Onfray a fait davantage qu'écrire. Il a remis
à la mode ce qui avait été le rêve de
beaucoup d'intellectuels libertaires à la fin du XIXe siècle
et au début du XXe, c'est-à-dire l'Université
populaire, ouverte à tous en fonction de leurs disponibilités.
On considère généralement comme un succès
l'Université populaire qu'il a mise en place à Caen,
avec quelques collègues partageant son ambition. Ses chroniques
à la radio ou sur Cd-rom relèvent du même esprit.
On
trouvera à Michel Onfray une autre grande qualité,
c'est d'être joyeux. Autrement dit, ce n'est pas un athée
triste, comme il s'en trouve beaucoup. Comme il le dit lui-même,
pour l'athée, il n'y a qu'une vie, la vie terrestre. Pourquoi
alors la gâcher par un esprit morose, le refus des plaisirs
physiques et intellectuels qu'un esprit sain dans un corps sain
permet d'obtenir. Le philosophe antique qu'il donne très
souvent en exemple est Epicure. Il ne s'agit pas de l'Epicure caricaturé
par ceux qui ne le connaissent pas, une sorte de pourceau humanisé
parangon de la jouissance matérialiste égoïste.
Il s'agit de celui qui, dans la tradition de Démocrite, refusait
les interdits déjà nombreux que les pouvoirs politiques
voulaient mettre aux affirmations d'une pensée et d'une vie
libres. On pourrait dire de Michel Onfray qu'il est une réincarnation
moderne de son maître Epicure, donnant à ses disciples
l'envie de faire comme lui joyeusement feu contre tous les prophètes
de malheur.
Son
traité d'athéologie est à cet égard
exemplaire. Dans un style extrêmement réjouissant,
il s'en prend à toutes les manifestations de l'aveuglement
et de la méchanceté humaine produites par les religions
depuis la nuit des temps. On pourrait penser que le sujet est grave
et que l'ironie est mal venue, quand il s'agit par exemple de montrer
comment les trois religions monothéistes continuent à
s'accorder sur la haine de la rationalité scientifique, de
la démocratie, de la femme ou du plaisir, sinon de la vie
même. Mais il n'est pas interdit de s'instruire en s'amusant,
d'autant plus que l'ironie de l'auteur n'est jamais gratuite mais
met en évidence, mieux que de longs discours, le côté
terrifiant des religions que les discours lénifiants sur
la foi ont toujours cherché à cacher.
Il
faut donc lire ce livre en détail. On peut douter cependant
espérer qu'il produise des conversions à l'athéisme,
connaissant la façon dont chacun est attaché quasi
génétiquement à ses croyances. Les esprits
religieux resteront fidèles à leurs convictions et
n'en seront pas plus tolérants à l'égard de
ceux qui ne les partagent pas. Mais les incroyants potentiels, ceux
qui n'osent pas encore s'avouer qu'ils sont réfractaires
à l'énorme propagande des théologies cherchant
à les persuader qu'ils cherchent Dieu sans se l'avouer, se
sentiront un peu moins seuls au monde. Ils oseront faire, si l'on
peut dire, leur "coming out". Ils comprendront
qu'il est bien, qu'il est digne et même qu'il n'y a pas de
meilleure attitude philosophique que d'être athée.
L'étude comparée des religions que propose Michel
Onfray les convaincra sans doute de partager ses conclusions. Pour
lui aucune religion, quelle qu'elle soit, ne mérite l'adhésion
intellectuelle et morale. En suivant l'auteur, ils se persuaderont
aussi, ce qui leur sera moins facile, des dangers d'une libre-pensée
qui reprendrait tous les interdits des religions, faute d'avoir
trouvé la voie d'un véritable épanouissement
hors des sentiers balisés de la croyance. N'est pas athée
qui veut. On a vite fait de retomber dans les pièges du respect
des dogmes, même lorsqu'ils se disent matérialistes.
Faisons
ici dans la suite de cette remarque un petit reproche à Michel
Onfray. Dans le procès qu'il mène contre les trois
religions monothéistes, il semble exclure, d'une façon
incompréhensible, le monde très vaste des religions
ou philosophies contemplatives qui dominent toute l'Asie, Japon
compris. Même si le bouddhisme, par exemple, est moins rugueux
et terroriste en apparence que les religions monothéistes
(il prétend d'ailleurs parfois ne pas être une religion),
il ne parait guère plus favorable que les autres à
l'individualisme créateur et au rationalisme, et moins encore
à l'athéisme. On pourrait lui reprocher d'inciter
au contraire à toutes les dérives du retrait en soi
et du refus de la prise de conscience par le verbe, légitimant
aussi bien la prise de drogues que l'émergence de petites
collectivités sectaires fascinées par des gourous
capables des pires déviances.
L'athéisme
et l'étude scientifique de la croyance
Ceci
dit, ayant rendu hommage au travail de Michel Onfray, ayant rendu
aussi hommage à son courage car ce n'est pas rien que s'en
prendre à tant de pouvoirs à la fois, toujours prêts
à formuler des anathèmes et fatwas, nous voudrions
ne pas nous arrêter là. Nous pensons que son traité
d'athéologie n'a fait que la moitié du travail. Michel
Onfray annonçait qu'après avoir « déconstruit
» les religions – ce qu'il a fait fort bien, nous l'avons
dit - il allait reconstruire ou construire ce dont notre époque
a plus que jamais besoin, un « athéisme athée
» . Par ce terme, il désigne si on le suit bien un
athéisme qui ne se bornerait pas à éliminer
la divinité de ses références, en conservant
tout le reste, mais qui proposerait des visions du monde ayant les
mêmes capacités d'attraction et de puissance explicative
que les religions mais s'appuyant sur des bases entièrement
renouvelées. Or nous ne voyons pas clairement comment il
compte organiser cette reconstruction. C'est dommage car faute de
le faire, il prêtera le flanc à une objection facile.
On lui reprochera de s'être borné à une critique
des religions (à la limite de l'imprécation) mais
de n'avoir rien offert de concret aux esprits qui seraient à
la recherche d'une alternative adaptée aux besoins de notre
époque.
La
première chose qui manque à l'ouvrage de Michel Onfray,
dans cette optique, est une analyse scientifique de la croyance.
D'où vient ce besoin irrépressible de religion qui
affectent tous les hommes, y compris beaucoup de ceux qui se veulent
athées? Le lecteur de Michel Onfray, confronté à
toutes les abominations dont les religions se sont rendues coupables
depuis 2000 ans, ne peut pas ne pas se poser la question et attend
de l'auteur des débuts de réponse. Pourquoi les sociétés
humaines ont-elles été obligées d'inventer
des mythes pour survivre, y compris les plus cruels et les plus
intolérants? Pourquoi, aujourd'hui encore, des gens apparemment
raisonnables continuent-ils à se référer à
un au-delà et sont-ils le cas échéant prêts
à mourir pour y parvenir plus vite ? Or, à lire le
livre, on pourrait croire que Michel Onfray ne se soit pas posé
la question ou n'ait pas tenté de lui apporter des réponses
scientifiques. Dans la bibliographie qu'il fournit en fin de volume,
aucun travail explicatif sérieux n'est mentionné.
Or de nombreuses recherches abordent aujourd'hui ces thèmes.
On essaye maintenant de comprendre comment et quand les primates
humains ont inventé les dieux et la vie dans l'au-delà
; comment les croyances en s'implantant et en se renforçant
ont modifié les aires cérébrales en charge
de la cognition ; comment elles se sont matérialisées
sous la forme d'entités symboliques autonomes, vivant et
se reproduisant à travers les sociétés de cerveaux
et les réseaux d'échanges aujourd'hui extrêmement
sophistiqués offerts par les technologies de la communication…Ces
recherches s'insèrent parmi toutes celles qui étudient
les comportements sociologiques hérités du passé
qui se révèlent souvent aujourd'hui difficiles à
intégrer dans les sociétés dites démocratiques:
tribalisme, agressivité à l'égard des autres
et de soi, fuite dans l'irrationnel, instinct de mort, fanatismes
multiples.
Diverses
disciplines proposent aujourd'hui des réponses très
convaincantes à ces questions. Elles relèvent en général
de ce que l'on appellera la psychologie et la sociologie évolutionnaire
– le terme d'évolutionnaire faisant référence
aux processus darwiniens permettant d'expliquer pourquoi un caractère
apparaît et survit au cours de l'évolution. Mais d'autres
sciences interviennent aussi. Les sciences cognitives, la neurologie,
la mémétique et même la robotique doivent aujourd'hui
être appelées en renfort pour modéliser en termes
scientifiques les faits de croyance et les gains adaptatifs qu'ils
apportent à ceux qui pratiquent l'adhésion et la foi
aveugle plutôt que le doute raisonné. Il est vrai qu'il
s'agit de sciences neuves, très peu représentées
en France, parfois mal acceptées par des communautés
scientifiques et intellectuelles encore très imprégnées
de déférence à l'égard des religions.
Mais pour un athée comme Michel Onfray, ce devrait être
là une raison de plus pour y faire allusion.
Le
regard scientifique ne devrait pas d'ailleurs, dans la ligne de
ce qui précède, ignorer l'athéisme et les athées.
Comment se fait-il, alors que les religions et les pouvoirs s'appuyant
sur elles visaient à rendre l'athéisme impossible,
que celui-ci soit apparu et se soit maintenu, non sans difficultés
il est vrai, à travers les siècles. Et qu'est-ce qu'être
athée aujourd'hui ? Est-ce un comportement individuel ou
collectif? Quel est le gain adaptatif, pour parler en terme de sociologie
et psychologie évolutionnaire, permis par l'athéisme
? Pourquoi, moi, suis-je athée ? En quoi suis-je fondé
à proposer un autre regard sur le monde que celui des religions
et de leurs églises ?
Le
présent article ne permet pas de présenter même
sommairement les différentes hypothèses scientifiques
visant à expliquer la naissance et la persistance, aujourd'hui
encore, des faits de croyance individuels et collectifs. Mais ces
hypothèses existent. Elles relèvent du discours scientifique,
c'est-à-dire qu'elles adoptent, quand elles émanent
d'auteurs rigoureux, des formalisations permettant de les mettre
à l'épreuve de l'expérience. L'athéisme
moderne ne peut les ignorer, car c'est là qu'il trouvera
une grande partie de ses justifications rationnelles.
La
vision du monde proposée par l'athéisme
Mais
on voit que poser cette question oblige à déborder
considérablement la définition de l'athéisme
que nous donne Michel Onfray. Il nous rappelle à plusieurs
reprises que l'athéisme s'est souvent confondu au cours de
l'histoire avec le rationalisme. Par rationalisme, on entendra le
recours à la démarche hypothético-déductive
pour modéliser les phénomènes du monde que
nous croyons percevoir. Cette démarche se complète,
dans la tradition universaliste de la science occidentale, par une
mise à l'épreuve publique des modèles ainsi
obtenus. Autrement dit, l'athéisme doit se confondre dans
cette définition avec la démarche scientifique et,
plus précisément encore avec le matérialisme
scientifique. C'est le matérialisme scientifique qui depuis
les Lumières a fait le succès de l'athéisme.
C'est encore lui qui assurera à terme son avenir, aussi longtemps
du moins que les sociétés modernes résisteront
aux offensives permanentes des fondamentalismes. Mais pourquoi alors
Michel Onfray ne fait-il pas reposer son apologie de l'athéisme
sur une défense et illustration du matérialisme scientifique,
qui en aurait bien besoin aujourd'hui ?
La
plupart des scientifiques, même s'ils ne s'affirment pas explicitement
athées, appuient leurs travaux sur une vision du monde, une
philosophie et, disons le mot, une métaphysique qui n'est
pas celle des religions. Ils sont généralement monistes,
c'est-à-dire qu'ils refusent de considérer les faits
mentaux ou spirituels comme ayant d'autres causes que matérielles.
De ce fait, ils sont matérialistes (les anglo-saxons préfèrent
dire "physicalistes" pour éviter sans doute la
connotation péjorative que certains donnent au matérialisme).
Ils sont également déterministes, c'est-à-dire
qu'ils refusent l'hypothèse que des événements
puissent se produire en dehors d'une cause matérielle, même
si celle-ci n'est pas clairement identifiable. Ils refusent enfin
le finalisme, selon lequel l'évolution tendrait vers un but
fixé à l'avance. On peut donc dire qu'ils développent
une vision du monde qui devrait être celle des athées,
même si ceux-ci ne l'appuient pas sur tous les arguments que
peuvent faire valoir les scientifiques. Rappeler ceci n'aurait pas
fait de tort à la thèse de Michel Onfray.
Il
nous dirait peut-être qu'évoquer le matérialisme
scientifique comme la valeur philosophique et morale la mieux à
même d'illustrer l'intérêt de l'athéisme
pour les hommes d'aujourd'hui pourrait faire du tort à l'athéisme
tel qu'il le conçoit. Les tenants du spiritualisme dit aussi
idéalisme, qui s'oppose au matérialisme, ont vite
fait d'assimiler le matérialisme scientifique au scientisme,
c'est-à-dire à une croyance, voire à une religion
aussi obscurantiste que les autres. Le grand tort du matérialisme
scientifique pour les philosophes et scientifiques idéalistes
est en effet de refuser d'étudier les phénomènes
dits spirituels avec « objectivité », c'est-à-dire
en postulant qu'ils peuvent exister sans base physicaliste. Mais
l'argument ne tient pas. Dans une précédente
chronique, nous avons été conduits à
défendre le matérialisme scientifique face aux critiques
du philosophe et bouddhiste américain Alan Wallace. Celui-ci
lui reprochait d'être abusivement réducteur, reprenant
l'argument bien connu de ceux qui s'en prennent à la science
matérialiste au nom d'une science spiritualiste. On peut
admettre que le matérialisme scientifique soit effectivement
une métaphysique puisqu'il repose sur des postulats indémontrables.
Mais c'est une métaphysique a minima. Les options philosophiques
du matérialisme scientifique : refus du dualisme et conception
physicaliste de l'esprit et de la conscience ne sont pas présentées
comme des lois de la nature, s'imposant à tous comme la loi
de la chute des corps. Elles résultent du fait que la science
n'a pas découvert d'arguments qui pourraient faire penser
à l'existence d'un au-delà peuplé par une ou
plusieurs entités spirituelles non matérielles. Le
matérialisme moniste constitue un postulat affirmé
jusqu'à preuve du contraire, pour des raisons d'économie
de moyens. (Le rasoir d'Occam) : il vaut mieux, face à une
ignorance (et l'ensemble des sciences, par définition, débouchent
sur de l'inexplicable), reconnaître que l'on ne sait pas,
plutôt qu'inventer des solutions complexes à base de
divinités et d'interventions surnaturelles. Mais le scientifique
croyant peut toujours, et il ne s'en prive pas, baptiser Dieu l'espace
d'ignorance s'étendant au-delà des limites des connaissances
scientifiques du moment.
Il
faut également convenir que la métaphysique scientifique
matérialiste évolue elle-même très vite,
en fonction de l'émergence des nouvelles sciences ou procédures
de recherche. Certains en tirent argument pour affirmer que ces
dernières "redécouvrent Dieu". Il est certain
que le « réalisme ontologique » selon lequel
il existe un réel indépendant de l'observateur est
de plus en plus remis en cause par les scientifiques matérialistes,
comme nous l'avons plusieurs fois montré dans nos chroniques.
Au contraire, loin de considérer que le sujet doive être
évacué dans la formulation des connaissances, beaucoup
de disciplines, à commencer par la mécanique quantique,
prennent en considération la relation sujet observant et
entité observée. Le "constructivisme" qui
en résulte postule que le monde des connaissances se construit
par une interaction permanente entre les sujets-acteurs et un univers
indescriptible en soi. Mais il n'y a pas de raison autre qu'idéologique
pour affirmer que cet univers indescriptible, c'est-à-dire
le quelque chose dont on évoque la présence au-delà
des catégories de temps et d'espace de la physique macroscopique,
nous révèlerait l'existence d'une divinité.
Les preuves expérimentales manquent encore pour démontrer
la pertinence des hypothèses relatives par exemple à
l'"énergie du vide" qui constituerait un univers
primordial antérieur au Big Bang. On pourra donc admettre
que ces hypothèses constituent d'une certaine façon
une métaphysique. Mais il s'agit d'une métaphysique
qui nous parait parfaitement compatible avec l'athéisme.
Elle ne risque pas en effet de donner naissance à de nouvelles
"révélations", créatrices de nouvelles
chapelles génératrices de nouveaux obscurantismes
- sauf évidemment si de pseudo-discours scientifiques s'en
emparent pour abuser de la crédulité des gens.
On
peut donc regretter que Michel Onfray n'ait pas développé
tous les prolongements philosophiques d'un athéisme reposant
sur le matérialisme scientifique, le seul à même
nous semble-t-il de s'opposer victorieusement à des mythes,
croyances, religions et églises qui continuent à recruter
des émules chez sans doute encore 98% des humains sur cette
terre. Quelle est pour lui la vision du monde physique que propose
l'athéisme? Se confond-elle ou non avec celle des scientifiques,
biologistes, roboticiens, physiciens dont le matérialisme
n'exclue pas une perception de l'univers dépassant les résultats
de l'expérience immédiate? Certes, les scientifiques
et ceux qui d'une façon générale font confiance
à la science pour décrire le monde proposent une grande
diversité de points de vue, différant plus ou moins
profondément selon les disciplines et selon les individus.
Néanmoins, comme le montre d'ailleurs nombre des articles
que nous publions dans cette revue, un certain consensus se dégage,
qu'il aurait été très utile d'analyser pour
l'opposer point à point aux métaphysiques des religions.
Il n'est évidemment pas facile d'en proposer une synthèse,
mais ce travail s'impose si on ne veut pas que l'athéisme
soit seulement associé au rejet de la divinité. C'est
infiniment plus et il faut le démontrer.
Nous
aurions alors aussi apprécié que Michel Onfray mentionne
les nombreux scientifiques modernes qui honorent le matérialisme
scientifique et l'athéisme, que ce soit dans les pays depuis
longtemps laïcs comme la France ou dans des pays en proie à
des fondamentalismes religieux de plus en plus virulents, comme
les Etats-Unis(1). Si l'athéisme,
comme on peut le craindre, est de plus en plus attaqué, il
faudra qu'il sache reconnaître et honorer ses meilleurs représentants.
(1) On suivra à cet égard avec intérêt
le développement d'un mouvement de militantisme athée
né aux Etats-Unis en 2004, au plus fort de la montée
du néo-conservatisme et de l'intégrisme évangélique,
le mouvement Bright, dont les fondateurs ont été des
scientifiques et philosophes matérialistes éminents,
tels Richard Dawkins et Daniel Dennett. http://www.the-brights.net/
Michel Onfray, a qui nous
avions soumis ce texte, a bien voulu apporter les compléments
suivants, que nous sommes heureux, en le remerciant, de publier
ci-dessous:
1.
Il n'y a pas dans mon livre de critique des autres religions...
parce que ce livre est explicitement consacré au démontage
du seul monothéisme : je ne peux m'embarquer dans un
sujet trop vaste, cela ne serait pas sérieux et empêcherait
de parler sérieusement. Je ne peux prétendre
embrasser toutes les religions depuis le début de l'humanité
jusqu'à nos jours. Trois volumes de Pléiade
pour en faire un seul inventaire ! alors une critique sérieuse,
vous pensez bien...
2. Ne vous étonnez pas que je recense pas dans ce livre
ce que je considère comme valeurs possibles pour l'athéisme.
La remarque précédente s'applique: on ne peut
faire deux, trois ou quatre livres dans un même livre.
Et les valeurs alternatives, cela n'est pas le sujet.
D'autant que dans mes trente livres précédents
j'ai déjà proposé des solutions :
- éthiques : La sculpture de soi
- politiques: Politique du rebelle
- bioéthiques : Féeries anatomiques
- esthétiques : Archéologie du présent
- érotiques : Théorie du corps amoureux
- pédagogiques : Antimanuel de philosophie.
Un livre n'est pas tout, le "Traité " s'intègre
dans une pensée globale... Ne faites pas comme les
journalistes qui croient que l'auteur n'écrit qu'un
livre quand ils parlent de ce seul livre...
3. Enfin, on ne peut pas non plus reprocher à quelqu'un
d'avoir écrit ce livre - son livre - et pas un autre
livre - souvent celui qu'aimerait écrire celui qui
fait la critique... Si je ne m'appuie pas sur une critique
scientifique de la religion, c'est que je ne crois pas à
la scientificité d'une pareille critique ! Il faut
aller au-delà de cette antique, vieille et poussiéreuse
antienne de la science qui accule la religion, ça ne
marche pas... Je tiens plus pour une démarche nietzschéenne,
poétique, lyrique, affirmative que pour cette façon
qui date du XVII° et a fait la preuve de son échec...
Je sais que ma méthode ne convaincra pas davantage
: parce qu'on ne convainc pas avec une argumentation, sinon
les preuves de l'existence de Dieu convertiraient, ou les
preuves de l'inexistence de Dieu feraient perdre la foi...
Il faut mener tout de même le combat, mais la science
ne peut pas plus - pas moins non plus- que l'affirmation,
disons dionysiaque !